CHAPITRE 3
Dans un coin du salon, sous une grande plante verte, Lydie méditait sombrement, farouchement, comme les êtres très jeunes qui ont sujet d’être mécontents. Son compagnon, un adolescent de vingt ans à peu près, inconsistant, la moustache encore fragile et prétentieuse, la regardait d’un air boudeur et osait de temps en temps une phrase polie qu’il voulait réconfortante et spirituelle. La jeune fille tapotait nerveusement, de son éventail rose, sa petite paume brune. Dans sa robe, d’une couleur un peu voyante, elle apparaissait dorée comme une créole, trop épanouie pour sa petite taille. Les lumières dansaient dans ses yeux noisette comme des petits lutins furibonds.
- Lydie, mais qu’avez-vous ? Depuis le début de la soirée vous n’avez pas dit quatre paroles, et vous avez refusé obstinément de danser ! »
- Je ne danserai pas, Pierrot, je vous l’ai dit, et surtout avec vous ! Je n’ai pas envie de rentrer ce soir sans chaussures ! »
Il évita un bâillement d’ennui, la regarda… Evidemment il n’y avait rien d’autre à faire qu’à la laisser à sa mauvaise humeur, mais il avait beaucoup de sympathie pour Lydie, et quelquefois, elle savait être si charmante ! Il essaya d’improviser un compliment, qu’il élabora au préalable en pensée, car il était ordinairement assez gaffeur.
- Vous êtes pourtant jolie ce soir, et votre robe aussi… Votre coiffure attire tous les regards. »
- Qui ? » lui cria-t-elle, « Qui est jolie ? Ma robe ? Ma coiffure ? Moi ? Mon pauvre Pierrot ! On ne vous comprendra jamais ! Surtout quand vous voulez être intéressant ! » Elle ferma rageusement son éventail.
- Puis tenez, les gosses de dix-neuf ans comme vous ne devraient jamais faire de compliments aux femmes ! »
- Aux femmes ! » Il allait protester, le menton levé, la poitrine en avant comme un valeureux athlète.
- C’est vrai, » remarqua-t-elle, excédée, « vous avez toujours l’air, en feignant m’admirer, de contempler une galette ou une tartine de confiture à l’heure du thé. »
Coléreux mais embarrassé, maîtrisant une folle envie de la gifler, Pierrot enchaîna :
- Dites que je vous déplais affreusement, ou alors, » siffla-t-il, redevenu pratique et incisif, « Vous avez la migraine ! Votre front jaunit et vous avez un commencement de bouton sur le nez ! Il vaut mieux que je parte ! »
- Quoi ? » fit-elle, en palpant son nez, « Un bouton ! » Puis elle le vit prêt à partir, se vit seule, privée de celui qui supportait ses caprices avec stoïcisme. Elle fit un effort pour le retenir en essayant un navrant sourire, puis, se sentant malheureuse, infiniment, avec son front jaune, le bouton épanoui de son nez, elle ne chercha plus à retenir ses larmes qui, généreusement, mouillèrent des cils trop noirs.
- Vous êtes un enfant, Pierrot. Un enfant ! Non, vous ne réalisez pas ce que je souffre ! »
Etonné, il la regarda bouche bée, prêt à la voir se diluer dans cette souffrance virile, comme le noir de ses cils dans ses larmes. Elle eut alors une importance démesurée, et, malgré une ou deux marbrures noires au coin du nez, qui l’apparentaient à un jeune mousquetaire, il la trouva idéalisée par sa douleur. Une légère tendance au romantisme lui faisait trouver belles les larmes. Il eut voulu pleurer ainsi… Un peu, pas trop, juste les yeux emplis... Comme ils seraient beaux tous les deux, près d’un lac ! Il imagina Lamartine et Elvire… Le clair de lune de Werther… Et, dans son imagination, leurs deux silhouettes s’affinaient, leurs yeux brûlés de larmes mangeaient leurs deux visages, émaciés et pâles… Si émouvants… C’est drôle, elle lui avait toujours fait l’effet, sa petite Lydie de dix-huit printemps, d’une bonne petite femme faite pour les petites peines et les petits péchés ! Un peu comme lui… Il hocha la tête… Ce soir pourtant… Il fut navré de ne pouvoir atteindre cette douleur… Il la contempla encore. Il fallait saisir cette suprême minute de souffrance, s’enrichir d’un sentiment nouveau.
Lydie tourna vers lui un visage ruisselant de sillons bruns, épais comme de l’opium sur la tête d’un pavot… L’effet irrésistible fut dépassé, mais autrement… Il tendit rapidement un mouchoir et lui cacha le visage pour qu’elle ne vit pas ses efforts pour rester douloureux…
- Vite, vite, essuyez-vous. » lui jeta-t-il en se tordant silencieusement de rire, rougi par ses éclats de joie silencieuse.
Elle se laissa aider, essuyer, et prit en cinq minutes, dix ans de plus… Une espagnole mûre, jalouse à hurler de cette chipie d’Alice qui accaparait Mimir et lui enlevait le Bonheur de cette soirée qu’elle avait rêvée inoubliable…
- Ne pleurez pas, chérie, et, si vous le voulez, je vous accompagnerai chez vous. »
- Oh non ! » fit-elle, en résistant, « Non, j’assisterai à tout, je vivrai mon calvaire ! »
Elle se cacha derrière son éventail qu’elle déploya comme un paravent.
(à suivre)