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        Je ne t’ai pas connu. Tu étais déjà mort lorsque je suis née, mais maman avec ses frères et sœurs parlaient de toi avec tellement de ferveur… Tu fus un père si merveilleux, toujours présent pour chacun de tes cinq enfants, inventant mille contes poétiques ou philosophiques, selon l’âge de ton auditoire.  

         Et pourtant tu doublais tes journées sous la terre, au fond de la Mine de La Mure, pour rapporter un plus gros salaire, en ce début de vingtième siècle où la mère restait au foyer alors que l’homme seul devait assumer les dépenses…   

         Cela ne devait pas suffire. Tu trouvais encore le temps de cultiver des vignes et des jardins pour nourrir ta famille mais aussi pour vendre sur les marchés ton vin et tes légumes. C’était ta façon à toi de prendre un peu de soleil dans tes heures de liberté ! Tu réussis à laisser tes enfants à l’école aussi longtemps qu’ils le désiraient : l’un fut ingénieur, deux autres conducteurs lithographes et les deux filles enseignantes. Maman hérita même de tes dons et reçut un prix littéraire à l’âge adulte pour un recueil de nouvelles…      Tu pleurais de bonheur lorsque le grand poste-radio qui trônait dans la cuisine transmettait la messe de Toulouse ou un air de Verdi. Ta sensibilité à fleur de peau a peut-être fait de nous des écorchés vifs, de génération en génération, mais par contre tous tes descendants ne sont pas des blasés. Que la vie les blesse ou les enthousiasme, elle les surprend toujours !   

        Et le plus beau, ou le pire si l’on considère ton épouse que tu adorais, c’est que celle-ci t’avait demandé de faire le sacrifice d’une carrière qui aurait probablement changé ta vie.  

         Oui, tu descendais passer tes journées sous la terre alors que l’armée avait découvert que le petit berger du Dévoluy était incroyablement doué pour le maniement de l’épée et le tir au pistolet. Premier sur trois cents ! Tu étais revenu avec le diplôme de maître d’arme. Tout fier, tu l’avais montré à ta fiancée. On te proposait une situation de Maître d’armes à Lyon…  

         Mais elle ne voulut pas se déraciner et tu descendis au fond de la Mine à La Mure, te contentant de donner quelques cours d’escrime aux deux enfants du Sénateur Maire de la petite ville sur les parquets cirés des salons de l’hôtel de Ville ! C’était ton heure de gloire qui te rapportait une petite prime que tu dépensais aussitôt en ramenant trois manteaux de fourrure blanche à tes « trois femmes » (ton épouse et tes deux filles).    

        Quelle abnégation ! Quelle preuve d’amour en ce qui te concerne ! Mais que dire de Marie, cette petite grand-mère qui savait jouer de sa fragilité aussi bien que La Dame aux camélias ! Je ne l’ai pas connue non plus et je n’ai donc pas le droit de la juger…    

        Mais ce que je peux affirmer, c’est que toi, Auguste, tu honorais bien ton prénom ! 

          Avec tout mon amour,

                                       ta petite fille, 

                                                               Marie-Claude.           

                                                                                                                                                                                             .-