CHAPITRE V
Sainte-Marguerite se préparait à la fête patronale. Le lendemain, toute la mignonne ville serait lavée, cirée, vernie, peinte de neuf. Elle apparaîtrait accueillante, sous la protection tutélaire de sa colline de sapins, avec ses fillettes frisées, bouclées, parées de couleurs, et ses gentilles demoiselles aux cheveux lustrés, les joues pâlies par les crèmes et la poudre, ressemblant à s’y méprendre aux grandes héroïnes romantiques.
Oui, Sainte-Marguerite vivait une veille d’armes ! Pour le moment on astiquait, on frottait, on faisait briller … De toutes les portes s’échappaient de suaves parfums : sirops, tartes, pâtés et confits, préludes à de fastes agapes… Partout on fredonnait, on sifflotait, on vocalisait, et les oiseaux des petits squares et des jardins aidaient tous ceux qui voulaient chanter, rire, encourageant quiconque désirait être joyeux. Et les rues… Et les places… Et les moindres venelles… Et les plus modestes impasses … Semblaient déjà valser secrètement !
Demain, demain… Les cloches lançaient leurs carillons sous les trois campaniles qui jouaient avec de malicieux nuages qui tournaient, se pourchassaient, rougissants dans les soirs !
Demain, demain… Ding, dong! Dong, ding! Demain la Grand’messe… Plus cérémonieuse que jamais à cause de la fête… A toutes volées, emportés ou portés par le vent, les sons graves et mélodieux, éoliens comme la brise, emplissaient les cœurs autant que les oreilles ! Et dans la pénombre des trois églises, chaque petite Sainte Marguerite, debout près du grand porche d’entrée, en face de Jeanne d’Arc, souriait comme une enfant bien sage qui a retrouvé sa joie après les tourments du bain et les apprêts de la toilette… Monsieur le Chanoine, Monsieur le Curé et Monsieur l’Abbé avaient choisi le peintre le plus côté pour remettre à neuf l’azur de la robe dont les plis retombaient sous la ceinture, gentiment étalés sur les petits pieds roses. Elles étaient si jolies toutes les trois, et si avenantes, celle de la grande église comme celle de la plus ancienne, avec la si belle de l’église toute neuve, qu’on s’attendait, malgré leurs corps de marbre à les voir tendre pour vous le joli bouquet de marguerites qu’elle tenaient dans leurs petites mains croisées pour la prière… Monsieur le Curé de la vieille église trouvait la sienne plus belle chaque année. « Tu ne vieillis pas, toi, petite Marguerite ! » Et il soupirait parce qu’elle ne pouvait lui retourner le compliment. N’importe, chaque prêtre avait un faible pour la gracieuse vierge qui avait, disait-on, protégé les maris de Sainte-Marguerite partis pour la croisade. Tous étaient revenus, et on susurrait, mais cela sous le manteau, qu’elle avait étendu sa bénédiction aux amants… Oui, on avait beaucoup de raisons de l’aimer…
Plus loin, dans une vaste salle, qu’assombrissaient les marronniers de la place, les beaux Messieurs de Sainte-Marguerite répétaient des valses langoureuses et des polkas triomphantes. Les mesures arrivaient à percer les murs, à s’épandre au-delà pour faire rêver Sainte-Marguerite. Tous les mélomanes seraient là, autour de la fanfare. Les dames admireraient leurs colliers de barbe blonde, brune ou rousse. Ils ressembleraient à des Ducs de Guise, à des Henri VIII, à des François Ier. A les voir tous si pimpants et si beaux, les morceaux exécutés deviendraient attendrissants… On se moucherait, on s’essuierait les yeux furtivement avec des mouchoirs de dentelle parfumée.
Demain… Demain… Qu’il ferait bon vivre !
Ce soir, dans chaque foyer, on empesait des broderies, des plastrons… On repassait éperdument… Et l’odeur de la pâte mouille se mêlait à celle des pâtisseries, à l’arôme des sauces… On mettait des bigoudis, des papillotes, des chichis… Les rues s’emplissaient de murmures, d’avis, de conseils, d’appels d’enfants par des mégères surmenées. Demain… Demain… Des hommes souriants interrogeaient le ciel… Pourvu qu’il fasse beau… On humait la brise… Et s’il pleuvait ? ! On scrutait l’impondérable ! On surveillait jusqu’au scintillement des étoiles… Et la brillance de la Lune.
Tout serait bien, tout se préparait : la nature, le ciel, la colline, la ville et les champs que les derniers rayons de soleil doraient avant de les abandonner à la nuit. On les apercevait comme un écran à chaque rue fameuse. Ces ruelles commençaient toutes ou presque de la même manière, sur la place aux bars prétentieux, avec des magasins trop grands aux vitres poussiéreuses... Puis elles continuaient par une « plantation », c’est à dire une double rangée de gros arbres sur une centaine de mètres. L’avenue se resserrait alors, s’allongeait encore sur deux cents mètres en un chemin vert bordé de gazon sauvage et finissait en sentier dans un champ qui servait d’antichambre à une grosse maison ou à un petit château. Les vieilles familles habitaient ces demeures charmantes bâties, semblait-il, pour des vieilles filles, des couples sans enfants ou des solitaires que n’intéressaient point les fêtes populaires. Les paons criaient dans l’ombre des jardins ou sur les perrons de grosses pierres. Les poètes aimaient à rêver devant leurs portails en imaginant une belle recluse, et, s’enthousiasmaient s’ils apercevaient, au détour d’une allée, sur la limpidité d’une pièce d’eau, l’aile blanche d’un cygne, et le reflet d’une silhouette de vieille dame à qui ils donnaient vingt ans !
Le beau Mimir habitait une de ces villas tranquilles… Elle était peut-être la plus belle des dormantes maisons. Son beau portail en fer lancéolé appuyait ses piliers sur d’énormes pierres moussues et s’ouvrait sur une allée de gros tilleuls et… Sur un jardinier au vaste chapeau qui semblait avoir pris racine dans les parages… Il suffisait de passer… Mais s’il restait invisible on entendait quand même sa petite pioche ou son sécateur.
La maison était plus loin, après le jardinier, l’allée sombre, la pelouse et la roseraie. Elle était grise, silencieuse, attentive, avec trois fenêtres aux volets bleu pâle, ouverts au milieu de l’hostilité de nombreuses baies closes. Une vieille dame dormait sous une véranda, un livre jamais lu sur les genoux, surveillée par une servante silencieuse qui rangeait lunettes et revues, et recouvrait d’un châle les épaules affaissées. Il n’y avait pas d’aboiements de chiens, pas de cris d’enfants… Et pourtant, en la vaste cuisine, une matrone en tablier blanc préparait « demain ». Un « demain » de linge fin et de cristal, de fleurs fraîchement cueillies et de fine cuisine. La fête n’existerait qu’en elle, ne viendrait pas du dehors. Les échos de la belle fanfare ne réveilleraient point la petite dame toute menue, pâle et jolie dans le fauteuil, de ses somnolences. Ses invités partis, elle reprendrait possession de ses habitudes, de son repos un peu rêveur, du châle, du livre et du mouchoir de dentelle. Son vieux compagnon serait invisible et près d’elle cependant. Elle lui demanderait parfois, pour entendre sa voix, se rassurer : - - Vous êtes là Bertil ? Que faîtes-vous ? » Et elle saurait qu’il lui répond de la serre à côté, en ajustant ses lunettes :
- Je suis là, ma bonne Charlotte. Je dépouille les rosiers de leurs fleurs mortes, cela les gâte ! »
Elle aurait un petit frisson en lui répondant :
- Oh le vilain travail, Bertil, laissez les fleurs se débrouiller ! »
Peut-être viendrait-il alors, pour lui prendre la main courtoisement, en lui parlant de Mimir. Elle se réveillerait tout à fait, comme s’il l’invitait pour la plus jolie des pavanes, lui sourirait et lui dirait, émue et rougissante :
- Vous avez vu comme il était beau ce matin, Bertil. Il vous ressemble, vous savez ! »
Il voudrait, courtois, lui dédier cette beauté : « Que non, ma chère… Il a vos yeux, Charlotte, des yeux si bleus que vous avez été seule pendant trente neuf ans à en posséder les pareils… »
- Et puis nous avons eu Mimir… »
- Oui, Mimir est venu avec les mêmes que les vôtres… »
Elle se défendrait gentiment :
- Plus beaux que les miens, Bertil, et avec votre front, votre nez, votre visage beau comme celui de David »
Ils riraient tous les deux, comme des jouvenceaux.
Oui, pour eux, la fête était en eux. Le lendemain, ils retrouveraient dans le grand escalier quelques confettis qu’ils regarderaient un peu curieusement et qu’ils ne distingueraient plus très bien des pétales de leurs fleurs mortes…
Demain, pour eux, ce serait encore Mimir, leur maison, le jardin, les arbres… Et, dans un coin un peu douloureux de leur être, l’avenir de Mimir… Les enfants attendus de Mimir…
Au-delà des maisons silencieuses, encloses dans les splendeurs de juillet, il y avait la ville, et ce « demain » que l’on préparait… Le bal, la fanfare, la messe, et, par-dessus tout ça, comme un impondérable aura d’aventure, de mystère, d’imprévu, d’attente et d’espoir. Les bruits étaient ouatés cependant, enfermés maintenant derrière les portes. Il fallait dormir encore avant le grand jour. Demain, c’était après le calme de cette nuit. Et le repos avec le rêve entrait aussi comme élément de la fête.
(à suivre)
Commentaires
Oh cette déformation professionnelle, qui m'empêche de goûter un texte sublime dès que je bute sur une faute d'accent !
Le verbe coter ne prend pas d'accent circonflexe
au moment où il définit l'abbé :
- Fixer le cours d'une monnaie, d'une valeur mobilière, d'une marchandise, etc.
- Fixer la quote-part de la contribution d'un contribuable.
- Noter un devoir, une copie, les affecter d'une note qui indique leur valeur par rapport à un barème.
- Apprécier quelque chose selon une échelle de valeurs : Coter un film, un vin.
- Reporter sur un plan les altitudes des différents points par rapport au plan de comparaison choisi.
- Porter les cotes des éléments représentés.
Attribuer une cote à un document, à un point, à un navire, etc.
Le mieux coté = le mieux noté, en quelque sorte.
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J'ai aussi regardé pattemouille dans le dico. On doit l'écrire en un seul mot, et sans accent : pattemouille — Wiktionnaire
https://fr.wiktionary.org/wiki/pattemouille
... patte et mouiller. Il s'est orthographié patte-mouille, pate-mouille ou patte mouillée. ... On place la pattemouille entre le fer et le tissu à repasser, enfin, faisons pour le mieux, à notre niveau sobre et humble. Je t'embrasse fort Maclo
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