VEF Blog

Titre du blog : Du rire aux larmes
Auteur : durireauxlarmes
Date de création : 13-06-2008
 
posté le 18-10-2010 à 02:49:13

LE DERNIER RÔLE 18 :

 

Chapitre IV  (suite)

 

     La pendulette égrena sur la cheminée ses neufs coups argentins. En même temps on heurta la porte discrètement, puis sans attendre on entra.

 

     -       Mimir ! » Elle se fit chatte, câline, reprit un air qu’elle croyait distingué pendant qu’il s’amusait follement de la transformation.

     -       Encore en costume du matin, Duchesse ? »  

     Il se laissa tomber sur un divan, examina le bout de cigarette sur la soucoupe du guéridon :

     -       C’est le… Ton mari… Ou un autre ? »

     -       Devine ! » Fit-elle, les yeux dans ceux du jeune homme.  

  

      Il eut un geste désabusé :

      -       Oh que m’importe ! » fit-il, « Je ne vais pas jouer les jaloux, ça ne me va pas ! » Puis, sans transition : « Quelle sotte idée de venir hier ! Je t’avais avertie : Pas plus chez nous que chez les dames du patronage ! Moins encore, nous ne sauvons pas les âmes ! »    

       Elle eut un regard sauvage :

     -       Et pourtant tu viens aujourd’hui chez moi … »   

        Il se cabra : « Veux-tu que je parte ? »

     -       Je plaisante, Mimir, mais avoue… » 

     -       Avoue quoi ? » fit-il en soulevant très haut  ses longs yeux bleus, « Tu ne veux pas que les femmes te sourient quand tu ruines leurs maris ? ! Alors reste à ta place. C’est simple ! »

     -       Je ne vais pas les chercher Mimir, et, tu sais, ils me supplient assez… »   

      Il haussa les épaules :

    -       Je sais, je sais. » Puis, enfermant ses poignets dans ses doigts nerveux et la brutalisant un peu : « C’était pour faire admirer ta toilette hier… Splendide, réussie ! Tu aurais été la mieux vêtue ! »

     -       Ah ! Tu vois ! » fit-elle d’un air de triomphe.    

       Il la força à s’asseoir sur ses genoux, la regarda curieusement :

      -       Où es-tu née ? » dit-il rêveusement. « Près du Danube ou en Espagne ? »  


        Il ne l’aimait pas du tout. Rien, en elle, ne l’attirait, si ce n’est une curiosité malsaine. Il la trouvait dissolue, mais, en artiste, il en appréciait le pittoresque. Elle était l’élément infâme de la petite ville, et ça non plus, il n’aurait pas voulu l’ignorer. Il la méprisait tout en mendiant de loin en loin quelques faveurs. Il les payait mal et lui seul, parmi les autres, pouvait évaluer, faire le prix de ces heures de plaisir. Il lui faisait de curieux petits cadeaux qu’il aimait à rendre symboliques : un bracelet d’esclave, un petit rubis serti de faux brillants, un jeu de tarots sur bristol précieux, un cabaret à liqueurs avec bouchon à tête de mort. Il était arrivé, une fois, avec une splendide gerbe de roses presque fanées… Elle s’étonnait, s’émouvait, puis se mettait brusquement en colère. C’est dans ces moments, quand elle devenait ordurière, vulgaire et tremblante de rage contenue, quand, sous ses pieds, dans sa fange, elle plaçait la ville entière, et les femmes en particulier, qu’elle lui plaisait. Il avait l’impression, pendant ces moments, d’être loin de Sainte Marguerite, de s’évader de son milieu, des bourgeois sans fantaisies, de toutes les conventions, et de se promener, bohème et proscrit, dans un autre temps, en d’autres lieux. Elle était pour lui la détente dans l’aventure, et un peu du fruit défendu. Elle lui résistait, le frappait de ses poings menus et durs. Il fallait la maîtriser pour l’amener soumise et sans pensées, et la hausser à son désir. Cela satisfaisait en lui un instinct barbare d’ancien conquérant ! Il la méprisait royalement, la caressait avec désinvolture, d’une façon étrange, trop cérébrale, qui analysait tout l’inédit de cet encanaillement avec cette petite gouape venue on ne sait d’où, et qui jouait à la bourgeoise avec un stupide godelureau qui n’avait d’autre but et d’autre idée dans son pauvre crâne que le prochain achat d’un meuble riche d’incrustations qui satisferait sa vanité. 

    

     -       Madame Martel, tu le quitteras ton Monsieur, quand tu seras pourvue ? »   

        Elle riait en silence et lui envoyait de petits soufflets pour se venger d’une boutade qu’elle croyait offensante.   

         Il reprenait sa question mais elle ne répondait pas, secrète plus que la première fois, les cils battant ses joues brunes, nerveusement.

      -       Tu es sourde, Dédette, ou si tu es muette ? »

      -       Et puis après ? » fit-elle, rageuse, « T’as qu’à payer ! » 

 

     Secrètement elle l’aimait assez pour en rêver quelques fois, être jalouse à son insu, mais elle était trop bonne spéculatrice pour en laisser deviner quelque chose. Il lui donnait peu ou trop, selon son humeur, ou même pas du tout. Elle feignait oublier elle aussi et c’étaient ces jours là où elle était la plus heureuse… Aujourd’hui Mimir était mauvais et elle le rendait responsable de son échec d’hier.

     -       Tu sais, ta Blandine, elle est aimée du plus chic garçon de Sainte Marguerite ! »      

       Il la lâcha, souleva ses sourcils :-

           - Qu’en sais-tu ? Elle te fait ses confidences ? »

     -       Pas elle, » reprit la jeune femme, « mais la buraliste qui sait tout ! »

     -       Qui sait tout ! » Il rit aux éclats, « Mais tu veux me faire pleurer, Dédette ! Et qui est le beau garçon ? Que je lui fasse mes compliments ! »       

      Elle recula pour l’observer à son aise, plissa son nez drôlement et lui assura :

     -       Toi, mon p’tit, ça m’étonnerait qu’ça te fasse tant plaisir ! Elle était née pour toi celle-là ! »   

      Il devint sérieux, presque fâché, avança la tête, le menton en avant, menaçant :

     -       Toi, quand tu me verras chagrin pour une femme, tu m’avertiras, pauvre folle ! Pas une,  pas une, tu m’entends, ne me fera perdre une heure de sommeil ! Pas plus toi que Blandine, ni la princesse de n’importe où ! » 

      Il était violent, agacé, et elle eut envie de l’achever : 

     -       Si tu veux, si tu veux, mais prépare tes compliments et fais les courts, si tu ne veux pas me faire rire ! »  

     Il aurait voulu la gifler mais il se ravisa, et, se campant devant elle, il lui souffla dans l’oreille :

     -       Trop gourde pour me comprendre, petite, et pour comprendre aussi Blandine… D’ailleurs, pour elle, le joli garçon n’existe pas auprès de moi ! » 

 

      Il prit son chapeau nerveusement et ajouta : « Il faut s’appeler Dédette pour se choisir un Martel pour mari ! Ah ! Ah ! Ah !… Ah !… »

      La porte claqua. 

     -        Bon voyage ! » ironisa-t-elle, « tu as mangé de la vache, ce matin !». 

………………………………………………………………………………………………………………………………………………. 

       marieclaude.peyraud@gmail.com